Piveteau veut construire une chaudière à déchets

Le groupe PiveteauBois est un énorme pôle industriel. Avec ses deux sites en France, à Saint-Florence en Vendée et à Egletons en Corrèze, et son troisième site en Pologne, le groupe transforme plus d’un million de mètre cube de bois résineux par an. Parmi les divers produits issus de la transformation du bois, le groupe produit au total 400 000 tonnes de granulés par an. En France, Piveteau est le numéro 1 de la production de granulés et le 1er imprégnateur par traitement autoclave en France. Si PiveteauBois tente de s’agrandir partout, ce n’est pas pour répondre aux besoins locaux des personnes proches de ses sites de production, c’est pour être concurrentiel sur le marché européen du bois. Par contre, les extensions des sites de production de PiveteauBois se font régulièrement au mépris des habitant.es locaux et de la santé publique, et au mépris de la bonne santé des forêts environnantes.

Brûler des déchets pour produire des granulés – la chaudière du groupe Piveteau en Vendée

Nous avons enquêté sur le site vendéen de l’industriel, et là bas aussi, un nouveau projet suscite de vives oppositions. Sur son site historique, PiveteauBois a pour projet de construire une chaudière d’ici la fin de l’année 2024, pour produire de l’énergie destiné à augmenter sa production sur site. Il s’agit d’une chaudière à co-génération CSR, pour « combustibles solides de récupération ». Encombrants, déchets d’activités économiques, mobilier, de nombreux déchets pas toujours recyclables pourraient trouver un débouché dans cet incinérateur déguisé. La chaudière de Piveteau engloutirait 33 000 tonnes de déchets par an. 22 000 d’entre eux proviendraient de l’entreprise ECO-Mobilier à 50 kilomètres du site, comprenant 30 % de bois, 30 % de plastique 15 % de papier-carton et 25 % de mousses et assimilés. Cet approvisionnement en déchets à brûler représenteraient 5 allers-retours de poids lourd par jour. les 11 000 tonnes restantes proviendrait des refus du tri mécano-biologique de l’entreprise Trivalis, composé essentiellement d’ordures ménagères. Ce site est quant à lui à 45 kilomètres du site vendéen et nécessiterait 4 aller-retours de poids-lourd par jour.

En plus du curieux circuit qui consiste à produire des déchets pour les brûler ensuite, la Chambre Régionale des Comptes indique que le contenu des sacs jaunes n’est pas suffisamment recyclés. Bien trop de déchets sont exportés pour servir à la production de CSR, conduisant à un tri insuffisant. Les déchets ménagers sont riches en matière organique (40 % du poids) et l’entreprise Trivalis pourrait être incitée à fabriquer du compost avec toute cette matière, plutôt que de la rendre disponible à une chaudière industrielle. D’un point de vue économique, les deux entreprises fournissant les CSR sont incitées à la valorisation énergétique de leurs déchets ce qui fait immédiatement concurrence au recyclage et au compostage, alors même que la loi de la transition énergétique impose la hiérarchie dans le mode de traitement des déchets, l’incinération étant l’une des derniers solutions écologiquement enviables. Car en effet, brûler autant de déchets non recyclés n’est pas sans risque ! Le collectif Air Libre Vendée, regroupant plusieurs riverains, alertent sur les risques élevés de pollution de l’air à proximité du site. En effet, le collectif indique que l’on retrouve déjà des substances chimiques toxiques comme des furanes et des dioxines (de 43 à 83 fois supérieurs à ce que l’on retrouve en France) des gaz acides, des oxydes d’azote, etc. à proximité du site. Ces différents polluants sont évidemment susceptibles de se retrouver dans l’eau et sur les terres environnantes. La chaudière de Piveteau aura nécessairement pour conséquence d’accroître les pollutions du site, malgré les promesses de l’entreprise. Si en effet, l’industriel promet un « comité de suivi » sur cette nouvelle chaudière et s’engage à communiquer « les bilans mensuels des émissions, les mesures spécifiques, relatives aux dioxines et furanes », le groupe n’est pas connu pour son respect des normes environnementales et de sécurité.

Une activité déjà explosive

Le 9 octobre 2023, le site de PiveteauBois à Sainte-Florence a été mis en demeure, car un inspecteur a constaté « importants amas de poussières sur les poutres, gaines et autres surfaces horizontales », ce qui peut constituer des risques d’explosion. L’inspecteur a aussi indiqué que l’entreprise n’avait « pas fait procéder à la vérification initiale du condenseur de fumée » d’une chaudière sur site, vérification qui porte sur le risque de légionellose, une maladie pulmonaire potentiellement mortelle. Cette mise en demeure est la 3ème en 4 ans. En 2019 et en 2020, le site vendéen avait déjà négligé les contrôles portant sur les rejets atmosphériques d’une chaudière déjà existante et sur des risques d’explosions liés à une quantité de cendres non-conforme dans l’entreprise. Les riverains ont donc raison de douter de ce nouveau projet. Si Piveteau ne respecte déjà pas les normes de sécurité et de pollution de son activité, est-ce souhaitable qu’il ait en gestion une chaudière encore plus dangereuse ?

Plusieurs habitant.es et associations s’opposent donc au projet. La FEVE (Force écocitoyenne de Vendée), l’Ades (Association pour la défense de l’environnement et de la santé), GP2i, Attac, l’association Terres et rivières et le récent collectif Air Libre Vendée s’organisent pour porter le débat public et informer les riverains sur les risques induits par cette nouvelle chaudière. En juillet 2023, les opposant.es au projet ont déposé un recours, et espèrent obtenir un jugement par le tribunal administratif.

Mais pourquoi encore une nouvelle chaudière ?

L’appétit de Piveteau est insatiable. Alors même qu’il conduit un projet d’extension faramineux à Egletons pour faire de son site FargesBois la plus grande scierie de France, la folie des grandeurs ne s’arrête pas aux frontières de la Corrèze. En 2021, le site de Sainte-Florence en Vendée s’est doté d’une sixième presse à granuler pour produire quelques dizaines de milliers de tonnes supplémentaires. Dès lors, le site vendéen a encore besoin de plus d’énergie. A l’horizon 2026, le groupe PiveteauBois prévoit d’augmenter ses capacités de production de 40 %, à travers le développement de sa production de granulés mais aussi la croissance de ses deux produits phares en bois de construction : 50 % d’augmentation pour le lamellé-collé et 250 % de croissance du CLT, sa technique de lamellé-croisé visant à édifier de très grands bâtiments en ossature bois. Les ambitions de Piveteau sont claires : développer le bois énergie et répondre aux besoins des industriels du bâtiment dans des projets de construction pharaoniques, bien loin des usages les plus courants et des besoins des populations locales. Piveteau ne s’intéresse qu’aux grands marchés.


Si ce projet est rendu possible, c’est qu’il a le soutien des pouvoirs publiques. L’Ademe finance ce projet à hauteur de 12 millions d’euros sur un total estimé entre 40 et 45 millions. Les grands sites de transformation du bois ne vivent que sous perfusion étatique. En France, en 2020, la Cour des comptes indique que la moitié des soutiens publics à la filière bois est destiné au bois énergie – soit 611 millions d’euros. Ce que la Cour des comptes manque aussi de dire, c’est que cet argent ne va jamais au développement de filières locales, artisanales, capables de composer avec une diversité de peuplements forestiers. Aujourd’hui en France, on compte moins de 1300 scieries contre 15 000 en 1960. l’augmentation de la production de bois-énergie se fait aussi au détriment des petites unités, c’est un nouveau frein pour les petites scieries que l’on prive de matières premières. La priorité n’est pas donné au bois de longue durée, mais au bois énergie que l’on consomme tout de suite ! Cela serait dû à la nécessaire « transition énergétique ».

Sans transition – l’arnaque du bois-énergie industriel

L’histoire de l’énergie se découpe souvent par phase. On nous dit que l’on serait passé du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, et maintenant, le temps est aux énergies renouvelables : parmi elles, le bois, à nouveau. C’est pourtant une fausse représentation de l’évolution énergétique de nos sociétés. Les énergies ne se remplacent pas, elle s’additionnent, et ensemble, elles composent des nouveaux assemblages énergétiques : en Europe, nous brûlons 3 fois plus de bois qu’au début du XXe siècle. Le bois-énergie, sous sa forme de granulés, n’est pas une sortie de l’énergie fossile, mais la conséquence de l’alliance de la civilisation fossile avec les industriels du bois. La filière bois s’est réinventé en utilisant toujours plus de pétrole et a ainsi augmenté la « disponibilité » du bois pour des usages énergétiques. Pourrait-on faire produire autant d’énergie « verte » issu du bois sans les abatteuses, faites pour couper à blanc ? Comment une scierie en Vendée pourrait-elle devenir l’une des plus grandes scieries de France s’il n’y avait pas un régiment de camion-grumiers pour lui apporter du bois depuis le Périgord, le Limousin, les forêts bretonnes, le massif des Landes, voir même des Pyrénées ? Nous avons évidemment besoin de bois, notamment pour nous chauffer, mais le développement de cette filière de bois-énergie industriel sous perfusion d’argent publique ne permet pas de réduire de façon effective les usages d’énergies fossiles. En même temps que l’État soutient la production de granulés, il diminue le budget alloué à la rénovation thermique des logements. Le dimanche 18 février 2024, Bruno Lemaire a annoncé une ponction de 1 milliard d’euro du dispositif « MaPrimeRénov ». Il reste 4 milliards d’argent public pour ce dispositif alors que les associations environnementales soutiennent qu’il faudrait débourser 34 milliards d’euros par an pour réellement baisser la consommation énergétique. Mais la civilisation du tout énergie continue d’avaler des forêts, et par là même nous fait croire que plus l’on produit de l’énergie, plutôt nous nous dirigeons vers une soi-disant transition. La Vendée, la Corrèze, les forêts de ce pays et les petites scieries en sont les premières victimes.

Sources :